La série Sunset Beach appartient au genre soap-opera. Le soap-opera, terme anglo-saxon, est souvent traduit en français par "feuilleton à l'eau de rose". Pourtant c'est un genre de fiction télévisuelle plus riche que cette traduction simpliste (et un brin méprisante) ne le laisse entendre. Existant depuis plus de 60 ans, il représente des dizaines de millers d'heures de programmes et est l'ancêtre de la série telle que nous la connaissons aujourd'hui. C'est aussi un composant fort de la culture télévisuelle américaine et est un genre très particulier de la production télévisuelle.

/ Retour aux origines / Le format et le nom de soap-opera sont hérités des feuilletons radiophoniques quotidiens diffusés en journée et en direct, dans les années 30 et 40 aux Etats-Unis. Des feuilletons au succès incroyable auprès des femmes au foyer, le public disponible à ces heures-là pour les suivre. Parce que destinés à ce public de "ménagères", ils étaient sponsorisés (autrement dit financés) par les grands fabricants de lessive et de savon : soap en anglais. Procter & Gamble, Colgate-Palmolive ou Lever Brothers entre autres faisaient ainsi leur propre publicité (si bien que l'entreprise Procter & Gamble était elle-même devenu productrice de ses soaps jusqu'il y a quelques années). Et pour toucher ce public féminin, ils traitaient des thèmes sentimentaux et mélodramatiques supposés les divertir ou les faire rêver : amours impossibles, trahisons, jalousie, argent et pouvoir... d'où le nom opera. Le premier fût crée en 1932, et se nommait Painted Dreams. Celle qui le mît au monde, Irna Phillips est considérée comme la mère du daytime drama et sera à l'origine de plusieurs autre soaps...



Avec l'arrivée de la télévision en 1944, le format est vite adapté au petit écran. En effet, les 3 grandes compagnies radiophoniques ABC, CBS et NBC se lancent dans ce nouveau medium et leurs premières émissions sont en réalité une version filmée, en direct, de leurs émissions de radio déjà existantes. C'est ainsi que les soap-operas, dès 1946, font irruption à la télévision quotidiennement, toujours en direct et toujours sponsorisés par les fabricants de lessives, qui s'adressent au téléspectateurs/trices en début et fin de programme.

 

Un des monuments du genre Guiding Light (Haine et Passions en France), qui existait à la radio depuis janvier 1937, est transposé à la télévision en juin 1952. Il vivra d'ailleurs simultanément sur les deux supports, radio et télévision, entre 1952 et 1956. Ce soap, le plus long de la télévision américaine, et crée par Irna Phillips justement, connaitra pas moins de 72 saisons au total (15 à la radio et 57 à la télévision) puisqu'il s'est achevé en 2009 seulement, après 18 262 épisodes ! C'est ici que réside la particularité du soap-opera, il a accompagné et accompagne les téléspectateurs chaque jour, pendant des années, voire des décennies.

Ci-contre, un épisode de The Guiding Light, datant du 9 avril 1953, vous y verrez les annonces publicitaires des fabricants de lessives qui précédaient et clôturaient la diffusion des soaps.

 

 

 

Sunset Beach saura en 99 rendre hommage aux pionniers via une des "fantaisies" d'Annie qui s'imaginera en personnage d'un soap des années 50 intitulé "Search for Dignity" et qui se rebelle contre le scénario écrit pour elle.

 

C'est dans les années 60 que les soap-operas, alors diffusés entre 11h et 17h vont se multiplier et vont ainsi naître des soaps majeurs : As The World Turn (1960-2010, NBC), General Hospital (Hopital Central en France, toujours en diffusion sur ABC), Days of our Lives (Des Jours et des Vies sur France 2, toujours en diffusion sur NBC). En septembre 1964, le soap Peyton Place est la pionnière des fictions feuilletonantes à être diffusée en prime-time, trois fois par semaine sur ABC. C'est en effet la première fois qu'une série où les intrigues sont à suivre d'un épisode à l'autre, est diffusée en soirée. A l'époque, la télévision américaine ne produit, pour ses soirées, que des séries à épisodes dit "bouclés" (telles Columbo, Bonanza etc...) ne nécessitant pas de regarder le suivant pour connaître la fin de l'intrigue. Ainsi, Peyton Place est considérée comme le premier primetime soap-opera de l'histoire de la télévision américaine. Elle s'étalera sur 5 saisons et pas moins de 514 épisodes, suivant les histoires sentimentales des personnages de cette petite ville de la Nouvelle-Angleterre.



/ L' âge d'or / Les années 70 sont une décennie d'apogée en terme de nombre de soap-operas diffusés chaque jour, entre 17 et 19, et de changements : tout d'abord dans leur format, la plupart passe de 30 à 60 minutes (pubs comprises), ils sont désormais enregistrés et non plus en direct, le tout depuis la côte ouest et Hollywood alors qu'ils étaient produits depuis New York jusque là. Enfin leur public se renouvelle, les femmes sont de plus en plus actives et de moins en moins au foyer, et les hommes ainsi que les étudiants sont de plus en plus nombreux à suivre ces feuilletons dont les nouveaux venus rencontrent le succès. All My Children, considéré par les critiques comme le meilleur, est lancé en septembre 1970 sur ABC. Puis en mars 1973, The Young and The Restless voit le jour sur CBS, il s'agit des célèbres Feux de l'Amour, plus long soap-opera à l'antenne en France puisque diffusé sur TF1 depuis 1989. Egalement doyen aux USA, il vient d'y fêter ses 43 d'existence et ses 11 000 épisodes !

Enfin, la décennie 1970 est aussi celle de l'arrivée en prime-time de la version "gros budget" du soap-opera avec Dallas qui est lancé sur CBS le 2 avril 1978 avec le succès international que l'on connait. Après une première saison passée quasi-inaperçue, les producteurs décident pour la seconde saison de créer des arcs narratifs qui vont s'étaler sur plusieurs épisodes. Dès lors, les prime-time soaps vont se multiplier dans les programmes et introduire de façon permanente les codes narratifs feuilletonnants (intrigues à suivre, cliffhangers) et les thématiques (amour, argent, pouvoir) du soap-opera de l'après-midi mais dans un format hebdomadaire et à une heure de plus grande écoute. Cette déclinaison s'affranchit aussi de certains aspects du soap originel auquel on adjoint donc désormais le terme daytime, comprendre "de journée" afin de les différencier en fonction des plages horaires de diffusion. En télévision, le daytime définit les programmes diffusés entre 9h et 17h, le prime-time les programmes diffusés entre 19h et 23h et le late time ceux à partir de 23h.

Preuve que le soap-opera est un genre majeur de l'industrie et de la culture télévisuelle américaine et en plein essor, en 1974, les Daytime Emmy Awards sont créés par la National Academy of Television Arts and Sciences, qui récompense annuellement les programmes de journée, tout comme elle récompense les programmes de prime-time aux Etats-Unis et les programmes internationaux. En novembre 1975, le magazine Soap Opera Digest, consacré entièrement aux soaps paraît pour la première fois et suivront les Soap Opera Magazine, Soap Opera Update, Soap Opera Weeklly et Soap In Depth.

 

/ Un style unique / Le daytime soap c'est d'abord un rythme de diffusion (et donc de production), une structure narrative, des thématiques et des codes visuels qui en découlent.

A la différence d'une série de prime-time - tournée en 7 à 10 jours et diffusée hebdomadairement aux USA (exemple : Grey's Anatomy le jeudi soir de 20h à 21h sur ABC) - qui ne délivre que 22 épisodes en moyenne sur une saison septembre-juin, le daytime soap est à l'antenne tous les après-midis, toute l'année, été comme hiver : il fournit donc près de 250 épisodes de 40 minutes chaque année calendaire. Cette programmation inhérente au genre et héritée du format radiophonique contraint à une cadence de production intense : le tournage d'un épisode se réalise en une seule journée, cinq jour par semaine et avec des budgets de production bien moindres que pour les séries de prime-time. Formellement, cela se traduit par le format vidéo dans lequel sont tournés les épisodes, dont les scènes sont captées en studio simultanément par plusieurs caméras (généralement 3) et rarement rejouées plus de deux fois, le tout dans des décors permanents. Rares sont d'ailleurs les scènes jouées en extérieur, plus chères et plus longues à produire (à noter que cette règle s'est assouplie ces dernières années, et que Sunset Beach faisait figure d'exception à l'époque de sa diffusion). Enfin, le tournage en multi-caméra nécessite un système d'éclairage particulier permettant aux acteurs de se déplacer partout sur le plateau sans que la lumière ne fasse défaut. Tous ces éléments font que le soap-opera de journée se rapproche beaucoup du théâtre filmé des années 50. Les séries de prime-time ont elles hérité du mode de production cinématographique, enregistrement sur pellicule, une seule caméra, plusieurs prises avec plusieurs angles différents et un éclairage plus élaboré.



Concernant l'écriture, les dialogues et l'étirement temporel sont ce qui caractérise principalement la narration dans un daytime soap. Ce qui constitue le scénario sont essentiellement des dialogues, rarement des actions. Et ce scénario avance lentement, de quelques minutes par épisode et avec de rares ellipses. Lorsque nous quittons des personnages à la fin d'une scène, nous les retrouvons quelques minutes plus tard, là où nous les avions laissé : pour eux (et pour nous) le temps s'est figé, nous permettant ainsi de suivre parallèlement plusieurs personnages, plusieurs arcs scénaristiques et de ne rater quasiment aucun dialogue, aucune action. Il s'agit presque de suivre les protagonistes en temps réel. Ces caractéristiques sont la promesse d'un programme facile à suivre (on ne pourrait que l'écouter) et dont les lignes narratives vont courir sur plusieurs mois voire plusieurs années.

La multiplicité des personnages, une vingtaine au minimum, permet ainsi un roulement dans le développement des intrigues. Tous les personnages n'apparaissent pas dans tous les épisodes, ainsi les différentes storylines sont réparties différemment dans les épisodes. Elles s'entremêlent parfois, ou évoluent en parallèle sans jamais interagir les unes avec les autres. Dans cet étirement du temps narratif, il n'y a pas de règle : ainsi une journée et une nuit de la vie des personnages pourront s'étaler sur une trentaine d'épisodes, ou tout aussi bien sur cinq ou six. Pourtant, le temps réel, celui du téléspectateur, n'est pas ignoré et interagit avec le récit, par exemple les événements tels que Thanksgiving, Noël ou la St Valentin seront fêtés par les personnages dans les épisodes diffusés à ces périodes.

Une autre des particularités stylistique du soap-opera est la direction du jeu des acteurs, très similaire au théâtre. Dans ce format qui repose pour l'essentiel sur des dialogues ininterrompus dans un espace scénique réduit, les comédiens jonglent entre les soliloques (se parler à soi-même) et les échanges parfois grandiloquents avec leur camarades. Le tout est ponctué par de longues pauses accompagnées de regards intenses en fin de séquence. Rien n'est naturel dans la façon dont sont écrites les scènes et le jeu des acteurs est souvent, s'il est bon, la clé de l'adhésion du téléspectateur à des moments parfois outranciers.

Le soap, bien que souvent moqué, est pourtant le format de télévision dans lequel ont été abordés pour la première fois des sujets sociaux et sociétaux comme le cancer de l'utérus (Guiding Light, 1962) le S.I.D.A. (General Hospital, 1993) , l'avortement (All My Children, 2012) l'homosexualité, le couple métissé (Days of Our Lives, 1977) et bien d'autres... Sujets qui ne seront traités qu'à posteriori dans les séries de prime-time. Encore récemment, en 2015, Maya est un personnage qui révèle qu'elle est une femme transgenre dans Amour, Gloire et Beauté ou en 2011, une storyline de One Life to Live traitait du suicide d'un adolescent victime de harcèlement sur internet.


/ Le déclin / Dans le années 80, sont lancés deux nouveaux daytime soaps, eux aussi célèbres en France : Santa Barbara débarque sur les écrans de NBC le 31 juillet 1984, et y restera jusqu'en janvier 1993. Les turpitudes des Capwell feront aussi les belles heures de l'avant-soirée de TF1 dans les années 80 et 90. The Bold and The Beautiful, l'autre feuilleton bien connu des français sous le nom d'Amour, Gloire et Beauté sur France 2, débute quant à lui le 23 mars 1987 sur CBS et est toujours en cours de diffusion. Il faut noter que c'est une série dérivée (un spin-off) des Feux de l'Amour, toutes les deux sont produites par William J. Bell et Lee Philip Bell.

Depuis la fin des années 70, daytime soap et prime-time soap cohabitent donc sur les grilles de programmes des networks américains mais pour le public français, il a longtemps été compliqué de faire la différence entre ces deux types de séries. Elles ont toutes été programmées par les chaînes françaises en journée et servaient souvent de bouche-trou dans les grilles jusqu'à la fin des années 90 et l'arrivée à 20h50 de séries telles que Urgences, X-Files ou Les Experts. Et pourtant, Côte Ouest, Melrose Place ou Arabesque cantonnées à nos après-midis en France étaient diffusées en prime-time, à 20h, 21h ou 22h aux Etats-Unis.

Avec plus de 60 ans d'existence et des centaines de personnages, les soaps ont été le terreau d'un très grand nombre d'acteurs et d'actrices qui ont par la suite fait carrière au grand comme au petit écran : Meg Ryan, Julianne Moore, Sarah Michelle Gellar, Kevin Bacon, Susan Sarandon, Demi Moore, Eva Longoria, Ryan Philippe, Teri Hatcher, Ray Liotta, ou encore Brad Pitt... Tous ont fait leurs armes dans les daytime soap.

En janvier 1997, Sunset Beach est lancé sur NBC (voir la page historique pour l'histoire complète de la série). Un seul autre soap a été lancé quelques mois plus tôt : The City en novembre 95 sur ABC. Viendront les rejoindre Port Charles (dérivé de General Hospital) en juin 97 et Passions en juillet 99. Ces nouveautés ont du mal à s'imposer, The City s'achève après seulement une année et demi, et Sunset Beach ne durera que 3 ans tout comme Passions. Seul Port Charles tiendra 6 ans jusqu'en 2003.

Les années 90 et 2000 vont voir s'accentuer le déclin du daytime soap-opera. Au lancement de Sunset Beach, NBC commandait une étude auprès d'un groupe "test" de téléspectateurs. Le résultat fut édifiant : 90% des personnes interrogées ne voulaient pas d'un nouveau soap à suivre à la télévision. Des 19 feuilletons à l'antenne il y a 40 ans, ils sont descendus à 11 en 2000, pour finir à seulement 4 en 2017.

En 1969, le soap leader As the World Turns était regardé par 10 millions de personnes chaque jour soit près de 14% du public, aujourd'hui The Young and the Restless, leader également, n'intéresse plus que 3,5% du public avec moins de 4 millions de téléspectateurs quotidiens. Il a perdu près de 2 millions de téléspectateurs en 10 ans. La concurrence des talk-shows (rythmés des témoignages de la "vraie vie"), de la real-tv et le fait que leurs ficelles narratives ont envahi les séries de prime-time (telles Desperate Housewives, Revenge ou Scandal, toutes héritières du genre soap-opera) sont des causes notables de la baisse des audiences des daytime soap-operas mais aussi l'abondance de nouvelles chaînes disponibles avec le câble, l'explosion du visionnage sur Internet, du DVD, et du mobile pour citer les facteurs les plus évidents. Ce déclin est aussi symptomatique d'une évolution de la société. Les femmes sont aujourd'hui aussi actives que les hommes, et ne consomment plus le daytime comme avant. Le soap-opera était un objet générationel, un programme qui se transmettait de mère en fille, de grand-mère en petite-fille et qui lui assurait un public permanent. Ce modèle de narration, unique en son genre et typiquement américain est aujourd'hui en péril...

Sources et bibliographies : Les séries télévisées américaines, par Christophe Petit, 1994 / Les series Tv et le soap-opera, par Martin Winkler, 2004 / Décoder les séries télévisées, par Sarah Sepulchre, 2011 / Chicago Suntimes, 2007 /

Pour approffondir les coulisses de la production d'un épisode de soap, les deux vidéos suivantes de l'émission Behind the scenes, vous pourrez assister au tournage de scènes des Feux de l'Amour ainsi qu'a la réalisation de ces séquences depuis la régie, des commentaires des acteurs...

Behind the scenes : The Young and The Restless - 1
E! Entertainment / 1991



Behind the scenes : The Young and The Restless - 2
E! Entertainment / 1991